Il s’agit d’une nouvelle que j’ai écrite pour un appel à texte. Je le partage avec vous.


Maxime leva les yeux vers l’antique pancarte en bois défraîchis. Les lettres de style gothique indiquaient qu’il était au bon endroit « Chez Igor Piotrachewsky, bouquiniste et antiquaire ».

Il sortit la petite annonce qu’il avait découpée la veille. « Recherche jeune femme ou homme motivé et sérieux pour tâches diverses. Rémunération à débattre ».

Maxime avait besoin d’un petit boulot. Son loyer lui coûtait cher et ses parents, récents retraités, ne pouvaient plus l’aider comme auparavant à financer ses études. Il soupira avant de pousser la porte dont la vitre, couverte de crasse et de poussière, laissait à peine deviner ce qui se trouvait de l’autre côté. 

Un tintement signala son entrée. Maxime hésita, perplexe devant l’étrangeté du lieu apparemment désert. Le magasin n’était pas grand cependant les murs s’étiraient sur plusieurs mètres de haut. Ils étaient recouverts de livres dont les reliures semblaient sorties d’une autre époque. Un jeu d’échelles et de coursives permettait d’accéder aux rayons les plus élevés, loin au-dessus du plancher. Au centre, quelques rayonnages regorgeaient d’articles poussiéreux. Il constata bien vite que ce n’étaient pas là des antiquités ordinaires. 

Un doute assaillit le jeune homme. Tout bien réfléchi, un emploi en grande surface ou en restauration rapide lui conviendrait sans doute aussi bien. D’autant que personne ne semblait avoir entendu son entrée. Il était encore possible de faire demi-tour et de quitter ce lieu étrange. 

— Oui ? Jeune homme, en quoi puis je vous aider ? 

Maxime ne distingua pas immédiatement d’où provenait la voix. C’est alors qu’il vit une petite porte derrière le comptoir d’où sortit un vieil homme.

— Une seconde, je suis à vous tout de suite. Il faut que… – il sortit de son col une clé qu’il portait en pendentif au bout d’une chaîne en argent – voilà il faut que je ferme bien cette porte.

S’approchant de lui, Maxime put constater à quel point l’homme tassé par les ans était âgé. Presque chauve, le visage parcheminé, de petites veines bleutées parcouraient sa peau fine comme du papier à cigarette. Cependant, quelque chose dans ses yeux, comme une lueur d’intelligence, ou de malice peut être ; quelque chose dénotait.  

— Je … – le jeune homme se racla la gorge – je viens au sujet de l’annonce, vous savez… 

Il déplia le morceau de papier dont le vieillard se saisit avec une étonnante vivacité.

— Ah oui ! Je vois ! Je suis content que vous soyez là ! Mais je suis bien impoli. Je me présente, je suis le propriétaire de cette modeste boutique, Igor Piotrachewsky. Et vous, jeune homme, vous avez bien un nom, n’est-ce pas ?

Son regard sembla transpercer Maxime qui refréna un frisson. 

— Heu oui, je m’appelle Maxime Montégalé.

— Enchanté ! – le vieux serra vigoureusement sa main moite – voilà, que je vous explique. Je me fais vieux à présent, et j’aurais besoin de quelqu’un pour m’aider à faire tout ce que mes vieux os ne me permettent plus d’accomplir.

La paye allait bien au-delà des espérances de Maxime. Aussi, malgré ses réticences initiales, et les objets dérangeants qu’Igor présentait comme des antiquités rarissimes, il accepta. Il viendrait tous les soirs après la fermeture pour donner un coup de balai, épousseter les articles et vérifier que les livres n’avaient pas été déplacés. Tout cela ne semblait pas, ni très difficile, ni trop astreignant au jeune homme. Avant de se séparer, il désigna la porte se trouvant derrière le comptoir. 

— Et de l’autre côté ? Je dois également faire quelque chose ? 

Le vieillard s’empressa de lui répondre que non, que ce n’était pas la peine, qu’il s’occupait lui-même de l’arrière-boutique, de ne pas se déranger pour ça. Pragmatique, Maxime se dit que ça faisait toujours ça en moins. 

Il se présenta le lendemain au soir. Il commençait à se faire tard et la clarté entre chien et loup donnait à la vitrine obscure un aspect inquiétant. Le vieillard lui avait confié un jeu de clés et avait laissé le nécessaire de nettoyage derrière le comptoir ainsi qu’un mot, bien visible sur celui-ci. Le vieux s’y excusait de ne pas pouvoir être présent ce soir-là. S’en suivait une liste assez longue de tâches à accomplir, la plupart concernant les présentoirs centraux. Ceux que Maxime n’appréciait guère.

Et pour cause… sur l’étagère du haut étaient exposés des crânes et des ossements de toutes tailles et espèces. Le dernier était visiblement celui d’un être humain. Maxime frémit. Était-ce un vrai ? Préférant ne pas avoir la réponse à cette question, il passa un rapide et maladroit coup de plumeau sur ces articles peu conventionnels. Au-dessous, de nombreux bocaux bien alignés contenaient des liquides opaques et visqueux. Maxime étudia le premier. Un œil flottant entre deux eaux lui rendit un regard vitreux. Proprement écœuré, il reposa le flacon. Enfin, tout en bas étaient rassemblés ceux qui ressemblaient le plus à de réelles antiquités. Toute une collection de dagues et de poignards, très anciens mais parfaitement aiguisés, côtoyaient un rassemblement hétéroclite d’objets dont Maxime ne devina pas l’utilité.

Le lendemain, il faisait un noir d’encre lorsqu’il pénétra dans la boutique. Il actionna l’interrupteur mais les ampoules ne procurèrent qu’une lumière maladive, étirant sur les murs d’inquiétantes ombres chinoises. Il allait s’emparer de la liste et du balai lorsqu’un bruit le figea. Il provenait de la porte de l’arrière-boutique. Il ne put réprimer un hoquet de surprise lorsque celle-ci s’ouvrit sur le vieil homme qui la referma immédiatement derrière lui. Son poing se refermait sur un sachet en plastique. 

— Ha ! C’est vous jeune homme ! Content de vous voir ! Voilà, aujourd’hui je voudrais que vous alliez regarder les livres, là-haut. Il faudrait les dépoussiérer un peu. – il sembla hésiter – veuillez m’excuser, je dois aller me débarrasser de ça !

Il sortit rapidement alors que quelques gouttes s’écoulaient depuis le sachet. 

Maxime se pencha vers les tâches au sol. Un liquide vermillon tirant sur le noir avait taché le bois du plancher. Il se pencha et toucha du doigt la substance avant de le porter à son nez. Il reconnut immédiatement l’odeur ferreuse, caractéristique du sang. Le vieux était déjà sorti. Hésitant, il colla son oreille à la porte verrouillée. Rien. Ou plutôt si. Il lui sembla entendre une sorte de raclement quasiment imperceptible. Qu’y avait-il derrière cette porte ?

Ne pouvant répondre à cette question, il préféra se consacrer à sa mission de la journée ; les livres des étages supérieurs, espérant chasser ainsi le souvenir du comte de Barbe Bleue, qui s’était instillé dans son esprit.

Il s’agissait là des ouvrages les plus anciens, les plus rares, les plus chers et traitaient pour la plupart d’ésotérisme. Un, en particulier, attira son attention. C’était en effet le seul qui n’était pas couvert de poussière. « Jouvence et sacrifices ». Il devait avoir été consulté il y a peu de temps.

D’une main tremblante, il le sortit du rayonnage et l’ouvrit. 

— Ha ! Je vois que ce trésor vous intéresse ! Une de mes pièces les plus dignes d’intérêt ! 

Maxime sursauta. Le vieux était rentré. Pourquoi la cloche n’avait-elle pas sonné ? Il manqua tomber de l’échelle en refermant le grimoire.

— Euh… oui, pardon. Je ne voulais pas… 

— Ce n’est rien, ce n’est rien ! Je comprends que ce livre vous interpelle. Il est très intéressant et bien utile ! 

Comment un tel livre pouvait-il être utile à qui que ce soit ? Le vieillard lui fit un clin d’œil et disparut à nouveau derrière la porte. Maxime attendit un instant puis descendit en silence. De nouveau il colla son oreille. Aucun son ne provenait de l’autre côté. 

Le jour suivant, il pleuvait à verse et un orage menaçait. 

La boutique était plongée dans l’obscurité, et nulle trace d’Igor. Le nécessaire de nettoyage n’était pas sorti, et aucune liste ne l’attendait. 

Le vieillard l’avait certainement oublié. Le jeune homme prit donc le parti de vérifier que les livres étaient à leurs places. 

La pluie se mit à tomber dru à l’extérieur et le tonnerre le fit sursauter plus d’une fois. Respirant un bon coup, il continua son labeur avec toute l’assiduité dont il était capable.

Soudain, il releva la tête. Un bruit. Il avait cru entendre un bruit. Ses sens désormais aux aguets, il se remit à l’ouvrage. 

Il l’entendit à nouveau. Cela semblait provenir de la porte. Il s’approcha sur la pointe des pieds. C’est alors que la foudre s’abattit tout proche dans un fracas assourdissant. Tout à coup, la porte se mit à trembler sous les coups qu’on lui assénait depuis l’autre côté. 

Le cœur battant, le souffle court, le jeune homme hésitait. 

Les coups redoublaient d’intensité. Quelqu’un, ou quelque chose, voulait sortir… s’échapper ? 

Il approcha lentement la main de la poignée avant de se raviser. Tout se mit à se bousculer dans sa tête. Les crânes, les ossements, les yeux dans les bocaux, les sacrifices prônés par un vieux grimoire. 

Et s’il y avait de l’autre côté quelqu’un qui avait besoin d’aide ? Il devait le secourir. 

Sa main tremblante se saisit de la poignée. Il constata avec effroi que la serrure n’était pas verrouillée. 

Il l’entrouvrit, prudemment. Les coups cessèrent. De l’autre côté, l’obscurité totale l’empêcha de distinguer quoi que ce soit.

Il ouvrit plus grand et c’est alors qu’il les vit. 

À ses pieds, deux grands yeux jaunes le fixaient. Eclairé par les faibles ampoules de la modeste échoppe Maxime démasqua le coupable de sa terreur ; le mystérieux trésor du vieil Igor.

Le petit chat noir étudia un instant l’ouverture devant lui, émit un petit miaulement aigu puis, changeant d’avis, s’en retourna satisfait dans l’obscurité.

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